Ébauche de l’histoire du mouvement scout russe en France, à l’occasion de son centenaire
Débuts du mouvement scout russe en France
Le scoutisme russe a été fondé en 1909 à St Pétersbourg par le colonel Oleg Ivanovitch Pantukhoff (1882 — 1973) et s’est puissamment développé en Russie jusqu’en 1917 avec le soutien des autorités impériales. Interdit en URSS en 1922 et persécuté, remplacé par les “Pionniers”, il continue à vivre dans tous les pays où s’établissent des émigrés russes blancs.
La France étant l’un des plus importants pays d’accueil à l’époque, il n’est pas surprenant que le scoutisme russe s’y soit très vite implanté : la 1ère Troupe de « jeunes éclaireurs auprès du gymnasium russe de Paris » est créée dès 1920, et le premier camp d’été est organisé en 1921. C’est donc à ce centenaire qu’est consacré cet article.
Le mouvement des scouts-éclaireurs est ainsi le premier mouvement de jeunesse russe fondé en France. Il se développe rapidement à Paris et dans d’autres grandes villes d’émigration russe (Lyon, Nice, Toulon…). Différentes initiatives similaires émergent dans d’autres pays et se regroupent pour fonder en 1920 « l’Organisation des scouts russes à l’étranger », dirigéepar O.I. Pantukhoff (renommée « Association nationale des scouts russes » – NORS – en 1924, puis NORS-R en 1934-40). En 1926, NORS compte en France cinq troupes en région parisienne, un groupe à Nice et des unités autonomes dans d’autres villes.
Des camps d’été regroupant jusqu’à plusieurs centaines de personnes sont organisés, essentiellement sur la Côte d’Azur, et de nombreuses activités ont lieu « en ville » à l’année : des écoles russes sont organisées par les scouts à Paris, Meudon, Joinville ; une bibliothèque est ouverte, des chorales, groupes de théâtre et de danse et des orchestres folkloriques fonctionnent régulièrement et participent aux manifestations culturelles russes.
Une des bases importantes des scouts a toujours été la cathédrale Saint Alexandre Nevsky à Paris : c’est dans sa cour et ses locaux que s’organisent une grande partie des activités « à l’année » et les scouts participent aussi régulièrement aux offices, en particulier au service d’ordre de la Semaine de la Passion, conjointement avec les Vitiaz.
La NORS subit durant cette période plusieurs scissions qui donnèrent naissance à d’autres organisations de jeunesse russes inspirées du scoutisme. En particulier, Nicolas Feodorovitch Feodoroff (Gatchina, 1895 – Paris, 1984) lança auprès de l’Action Chrétienne des Étudiants Russes (ACER) les bases des jeunes de l’ACER et des Vitiaz, dont ces derniers s’émancipèrent en 1934 par la création de « l’Organisation Nationale des Vitiaz ». Ces deux organisations existent toujours.
Malgré ces scissions, la NORS de France, dirigée à partir de 1932 par un chef particulièrement remarquable, V.A. Temnomeroff (St Pétersbourg, 1901 – Saint-Genis-Pouilly, 1989), semble être le plus actif des mouvements de jeunesse russe en France à l’orée de la 2ème Guerre mondiale. Ainsi, en 1938, les scouts obtiennent le premier prix du « Jour de la Culture Russe » pour plusieurs scènes sur le thème de la « Mère Patrie », « avec danses et poèmes ».
Nouveau départ après la guerre
Interdite pendant l’occupation comme celle de toutes les organisations russes, l’activité de la NORS reprend rapidement après la Libération, mais à une moindre échelle : les rangs des chefs avaient été durement éclaircis, notamment par des départs vers les États-Unis. Les camps d’été rassemblent néanmoins près d’une centaine de personnes durant deux mois, désormais au bord de l’océan Atlantique. Pour ce qui est de leur équipement, les scouts russes reçoivent une solide contribution des surplus américains (notamment tentes et lits militaires). La NORS reçoit aussi par la suite des allocations du ministère de la jeunesse et des sports et des caisses d’allocations familiales.
Parallèlement, un mouvement rénové est créé en 1945 par des chefs de la NORS réfugiés dans des camps pour personnes déplacées (« DP camps ») en Allemagne. Ces chefs, emmenés par le scoutmestre Boris Borisovitch Martino, ont voulu actualiser la doctrine et le nom de l’organisation, renommée « Organisation des jeunes éclaireurs russes » (ORUR), sans pour autant rompre avec la NORS. Ils ne sont cependant pas suivis par tous les chefs de la NORS, ce qui provoque une scission, bien que les deux organisations NORS et ORUR reconnaissent comme chef suprême Oleg Pantukhoff, le fondateur du scoutisme russe, lequel n’a jamais accepté le principe même de cette scission, considérant que « scouts et éclaireurs devaient continuer à jouer ensemble » (sic). La plupart des chefs de la NORS, surtout aux Etats-Unis, rejoignent d’ailleurs ORUR en 1979.
Après la dissolution des DP camps, ORUR prend pieds dans plusieurs villes allemandes, mais aussi sur tous les continents (Europe, Amérique du Nord et du Sud, Australie). Elle attire aussi une proportion importante des jeunes chefs expérimentés et patriotes de France, séduits par l’esprit des camps d’été ORUR en Allemagne. Ils créent alors une troupe mixte ORUR à Paris en 1956. Leur activité se développe particulièrement dans les années 1973-74 sous la direction du père André Fortounatto (1940-2020). Dénommé « Souzdal », le groupe ORUR de Paris organise ses propres camps en France. En mars 1977, il s’enregistre à Paris comme « Association des éclaireurs russes en France » (AERF), avec son siège auprès de la cathédrale, 12, rue Daru). Les effectifs dépassent alors 60 personnes, chefs et enfants et, en 1977, ce sont des membres d’ORUR en Allemagne qui viennent au camp d’été organisé en France par le groupe « Souzdal ». ORUR organise aussi à cette époque, à Paris, un grand bal masqué annuel pour les enfants, avec toujours beaucoup de succès. Et, comme avant-guerre, les éclaireurs participent aux pèlerinages annuels au cimetière des soldats du Corps expéditionnaire russe en France pendant la Première Guerre Mondiale, à Saint-Hilaire-le-Grand (Mourmelon), avec les Vitiaz.
À partir des années 1980 l’activité en France décline et se réduit pratiquement à la participation de chefs et d’enfants domiciliés en France à des camps organisés en Allemagne.
Elle repart cependant à partir de 2016. En prenant appui sur des camps organisés en Allemagne, un ensemble se reconstitue progressivement à Paris et y mène des activités régulières à l’année. En octobre 2018, le groupe « Yaroslavl » est créé, composé de la troupe N°142 Dimitri Ivanovitch Mendeleev et de la meute N°13 « Tiani-Tolkai » (« Tire-Pousse », un personnage de la littérature enfantine russe).
Après avoir passé l’épreuve du COVID, pendant laquelle le groupe expérimente avec succès le « scoutisme en ligne » qui a permis de maintenir le lien avec enfants et parents, le groupe reprend vigoureusement ses activités courantes et organise, en 2021, son premier camp d’été dans le Vercors (le premier en France depuis 30 ans!), sur un terrain mis à disposition par l’ACER.
Commémoration du centenaire du mouvement et derniers développements
Le 21 novembre 2021, le groupe commémore le centenaire du scoutisme russe en France par un office d’intercession (moleben), concélébré dans la cathédrale Saint Alexandre Nevsky par des membres du clergé – anciens éclaireurs d’ORUR -, suivi d’une cérémonie scoute solennelle dans le jardin de la cathédrale et d’une exposition de photos dans la bibliothèque, obligeamment mise à disposition par la paroisse. (Cette exposition a par la suite été mise en ligne. Cf.: Expo photo du Centenaire! L’événement réunit toute l’équipe (enfants et parents), des vétérans d’ORUR et quelques chefs ORUR de différents pays, ainsi que des représentants d’organisations amies. Le camp d’hiver qui suit, également organisé en France pour la première fois depuis 30 ans, est aussi dédié à ce centenaire.
L’année 2022 est marquée par une autre étape importante: un accord d’association est conclu entre l’Association des éclaireurs russes en France (AERF) et l’association des Scouts et Guides de France (SGDF), plus grande organisation scoute française. Le groupe « Yaroslavl » devient ainsi membre associé des SGDF, tout en restant membre d’ORUR dont il conserve les spécificités. Cette étape permet à l’AERF d’officialiser entièrement son activité en France, de pouvoir faire bénéficier ses aînés et encadrants de formations reconnues (p.ex. BAFA) et ce, tout en nouant des liens amicaux forts et mutuellement enrichissants avec un autre mouvement scout qui vient lui-même de fêter son centenaire.
Juin 2023
Vladimir Golovanow